UNE DISCIPLINE DE L'HISTOIRE

L'année 1999 a vu la réalisation de fouilles archéologiques au pied du Mont Saint-Grégoire afin de retrouver le site du tombeau funéraire de la famille Johnson où a été inhumé sir John Johnson (1749-1830) loyaliste, seigneur de la seigneurie de Monnoir de 1794 à 1826.

La SHHR assume le secrétariat de la Société de restauration du patrimoine Johnson, maître d'oeuvre des recherches.

Introduction: le contexte du projet Le mandat archéologique L'aire d'étude Les données historiques L'intervention archéologique 
Introduction

Le contexte du projet

Ce rapport livre les résultats de l’intervention archéologique qui a eu lieu en novembre 1999 (les 9, 11,18 et 20 novembre) à l’emplacement présumé du caveau funéraire de la famille de sir John Johnson, au pied et sur le versant sud-est du mont Saint-Grégoire, à Saint-Grégoire.

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Richard St-Pierre, agent du MCCQ

Marcel Gauthier, historien

Anne-Marie Balac, archéologue du MCCQ

Sir John Johnson est un personnage important de l’histoire de l’occupation et de la colonisation britanniques au Canada. Il appartenait à une des familles les plus riches du continent au XVIIIe siècle. Né à Fort Johnson, état de New York, en 1741, il est issu du premier mariage de William Johnson et Catherine Wisenberg. Attaché à la couronne d’Angleterre, il défendit ses intérêts face aux visées indépendantistes des colonies américaines. Cette loyauté l’obligea par contre à quitter les États-Unis où il possédait plusieurs terrains et domaines. On estime à plus de 500 Loyalistes qui le suivirent pour venir s’établir au Canada. On ne sait pas trop pourtant quand exactement il prit pied dans la région du mont Saint-Grégoire si ce n’est au début du XIXe siècle. Il avait acheté auparavant la seigneurie de Monnoir des héritiers de Ramezay en 1794 et restera propriétaire jusqu’en 1826 soit quatre ans avant son décès. Le mont Saint-Grégoire s’appelait le mont Johnson tout au long du XIXe siècle et ce n’est que vers 1930 que la dénomination fut changée pour le mont Saint-Grégoire (madame Nicole Poulin, communication personnelle).

Sir John Johnson fut nommé surintendant et inspecteur général des affaires indiennes pour l’Amérique britannique du Nord et surintendant des réfugiés loyalistes en 1782. À ce dernier titre, il était chargé, entre autres, de planifier la distribution des terres au Loyalistes, principalement les Cantons de l’Est d’aujourd’hui et dans le sud de la province de l’Ontario.

On signale aussi son nom dans divers traités signés avec les Amérindiens. D’ailleurs, les Mohawks de Kanawake (alors dénommé Caughnawaga) l’avaient en très haute estime et participèrent en grand nombre à ses funérailles.

Sir John fit construire un caveau funéraire au début du XIXe siècle (vers 1807 ou avant) pour que les membres de sa famille puissent y reposer pour l’éternité. Selon des sources documentaires, il y aurait eu sept (7) personnes inhumées dans le caveau familial entre 1814 et 1864. Sir John Johnson y fut inhumé en 1830.

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Tombeau funéraire 

de sir John Johnson

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Tombeau funéraire 

vandalisé

Un peu moins d’un siècle après la dernière inhumation, soit au cours des années 1950, le caveau funéraire fut détruit par la machinerie lourde afin de permettre la plantation de pommiers. À partir de là, les historiens jugèrent qu’il ne restait plus aucune trace de vestiges de cette structure funéraire (Gauthier, 1991).

Des membres de la Société d’histoire du Haut-Richelieu, dont monsieur Lasnier qui était présent lors de la destruction du caveau en 1957, étaient d’avis contraire et croyaient que des vestiges étaient toujours présents dans le sous-sol. Monsieur Lasnier clamait qu’il n’avait pas creusé dans le sol et que les éléments structuraux n’étaient que dérasés.

C’est dans ce contexte que la Société d’histoire du Haut-Richelieu et la "United Empire Loyalists Association of Canada" pressèrent le Ministère de la Culture et des Communications du Québec d’intervenir dans le dossier. Un double but visé. Premièrement, il fallait localiser les vestiges, et, deuxièmement procéder à leur mise en valeur. Une visite d’agents culturels du Ministère de la Culture et des Communications du Québec avec les membres d’un comité, mis en place par la Société d’histoire du Haut-Richelieu, la "United Empire Loyalists Association of Canada" et la propriétaire du terrain où se trouvaient le caveau, se déroula sur les lieux présumés du site funéraire le 30 octobre 1998 (Phaneuf, 1998).

Une proposition d’intervention archéologique découla de ces discussions et rencontres. Elle avait essentiellement pour objectifs de vérifier la présence de vestiges du caveau funéraire et l’intégrité de sépultures humaines.

Le mandat archéologique

Le mandat de recherche archéologique obtenu du Ministère de la Culture et des Communications du Québec en octobre 1999 précisait deux objectifs principaux et quelques objectifs secondaires dans le cas de la découverte de vestiges architecturaux et de sépultures humaines.

Le premier objectif principal visait à déterminer s’il y avait des vestiges du caveau alors que le deuxième avait pour but de vérifier la présence de sépultures humaines à l’intérieur du caveau, advenant évidemment le cas où des vestiges du caveau étaient encore en place.

Des objectifs secondaires étaient proposés dans le cas de la présence du caveau et de sépultures humaines. Les vestiges du caveau devaient être mis au jour afin d’en délimiter son contour, sa forme, sa construction et d’en apprécier l’état de conservation.

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Pour ce qui est des sépultures humaines, l’intervention consistait essentiellement à documenter l’intégrité des sépultures en enregistrant leur état de conservation et leur emplacement. Aucune exhumation de sépultures en place n’était proposée dans la demande de permis de recherche archéologique. Seuls les ossements trouvés lors de la mise au jour des vestiges du caveau et lors du creusement des puits de sondage devaient être prélevés. Il ne s’agissait donc en aucun temps d’une excavation complète de l’intérieur du caveau funéraire.

L’aire d’étude

L’emplacement présumé du caveau funéraire de la famille de sir John Johnson se trouve au pied du mont Saint-Grégoire, sur le versant sud-est, dans la municipalité qui porte le même nom.

Les données historiques

Eugène Achard a laissé une description sommaire du caveau funéraire (cité dans Gauthier, 1991). Le caveau était orienté vers le sud et comme adossé à la falaise dans laquelle il s’enfonçait. Sa forme conique n’était pas sans rappeler les anciens fours à pain. L’intérieur du caveau était divisé en deux chambres par un mur de maçonnerie. La partie antérieure servait de vestibule alors que la partie postérieure devait servir à recevoir le cercueil (Gauthier, 1991).

Une peinture de Burnett, datant de 1898 et appartenant aux collections du musée Mc Cord, à Montréal, permet de visualiser la description d’Achard du caveau funéraire de la famille Johnson (figure 4). On y voit bien le caveau comme enfoncé dans le flanc de la colline. En fait, la construction d’un tel caveau exigeait que l’on creuse d’abord le sol pour y installer les assises. Par la suite, la structure était construite et, une fois terminée, enfouie sous la terre. Des pierres non taillées pouvaient être ajoutées sur les côtés pour consolider l’édifice comme on peut le constater sur la peinture. La peinture laisse voir un arbre à gauche du caveau ce qui indique sans doute le niveau du sol naturel antérieur à la construction du caveau. Une clôture en bois, en grande partie brisée, avait été placée pour bien circonscrire l’aire funéraire.

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Peinture de Burnett

La façade du caveau est composée de larges pierres taillées et on peut voir une plaque commémorative au-dessus de la porte en métal qui ajoute à l’identification de ce lieu sacré. Cette plaque funéraire commémorative fut découverte par monsieur Meunier et est maintenant cimentée à la façade du Cornell Mill Museum, à Standbridge East (Gauthier, 1991). À l’exception de la façade, toute la structure est recouverte par la végétation.

Le musée Mc Cord possède en plus des photographies qui ont été prises en 1890 par Notman, photographe renommé. Elles permettent d’ajouter des détails intéressants sur la structure, son architecture et son état de conservation. Il faut d’abord signaler que ces photographies sont certainement postérieures à la peinture puisque l’on peut déjà y déceler une détérioration du caveau. Plusieurs pierres de la façade sont déplacées et quelques-unes jonchent le sol. La porte en métal a été enlevée de même que la plaque commémorative. Une photographie prise à l’intérieur du caveau montre clairement la subdivision du caveau telle que décrite par Achard. On voit en plus que le plafond et les murs du caveau étaient lambrissés de poutres de bois. Des indices de perturbation sont évidents à l’intérieur de la structure où plusieurs morceaux de bois jonchent le sol. Il est malheureusement impossible d’identifier ces morceaux de bois. S’agit-il de morceaux provenant des supports pour les cercueils? Ou encore de structures associées à la construction de niches funéraires?

La détérioration s’est accentuée au fil des ans puisque, durant la seconde guerre mondiale, le caveau aurait été saccagé par des vandales, selon madame McCaw, pour y récupérer du plomb (Gauthier, 1991). Si cette information est exacte, cela signifierait que des structures ou supports pour les cercueils ou encore quelque élément décoratif étaient présents à l’intérieur du caveau funéraire. Selon les commentaires de madame Kenrick, une arrière-petite-fille de Sir John Johnson, le tombeau familial était encore en bon état de conservation en 1927. Si tel est le cas, les photographies de Notman seraient donc postérieures à cette date. La destruction de plus en plus prononcée serait donc survenue entre les années 1930 et 1960. Plus récemment, au cours de années 1950, le caveau fut détruit par un bélier mécanique. En 1977, la Société d’histoire de la Vallée du Richelieu, par son président monsieur Léo R. Leblanc, posa une tige en métal pour indiquer approximativement l’emplacement du caveau funéraire de la famille de Sir John Johnson signalant du coup que tout était détruit.

L’intervention archéologique

Les tranchées

Les tranchées ont été creusées un peu plus larges que prévues en raison de la machinerie utilisée. Elles avaient près de deux mètres de largeur. Heureusement, l’opérateur était très habile pour manœuvrer la machine et permettre un décapage précis des couches de sol.

Une première tranchée fut creusée dans la poursuite du trou numéro trois en allant dans la direction ouest alors que la deuxième tranchée faisait continuité du trou numéro un dans la direction est. Ainsi, les deux tranchées, légèrement en quiconce, permettaient de distinguer la superposition des sols sur une plus longue distance. Plusieurs pierres taillées furent mises au jour mais aucune n’était en place. En fait, les tranchées servirent à délimiter la zone de débris liée à la destruction du caveau au cours des années 1950. À une profondeur de deux mètres, le sol stérile était atteint et il n’y avait aucun indice de vestiges en place. De plus, aucun artefact, ni ossements n’avaient été trouvés.

En prenant pour acquis que le caveau ait été dérasé par la machinerie lourde, l’aire délimitée par les tranchées permettait de croire que s’il y avait encore des vestiges, il se devaient d’être à proximité car le nombre, la dimension des pierres ainsi que le souvenir de monsieur Lasnier nous portaient à croire que les débris n’avaient pu être transportés sur une longue distance. Un puits de sondage d’un mètre carré effectué au sud des premières tranchées a vite fait de mettre au jour des vestiges en place à quelques centimètres (environ 20 cm) seulement sous la surface. Il s’agit d’une portion de mur transversal, c’est-à-dire dans l’axe est-ouest. De là, le mur a été dégagé pour atteindre les autres pans et ainsi délimiter au complet la structure du caveau funéraire. L’intérieur de la structure fut nettoyé manuellement et une division centrale en pierre a pu être mise au jour.

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Le nettoyage des couches de sol s’est fait manuellement. La partie supérieure est principalement constituée de morceaux de bois. Ensuite il y a une couche de terre organique dans laquelle se trouvent de nombreux clous de différentes formes, des fragments de bois de petites dimensions et plusieurs ossements humains. Ces éléments ne sont pas en place car des os des pieds sont en association avec des os des bras. Les ossements se retrouvent dans les deux sections de la structure soit dans la partie antérieure qui était considérée comme un vestibule et la partie postérieure qui devait être la place pour recevoir les dépouilles. Comme les ossements se retrouvaient partout en association avec des débris seulement une quinzaine de centimètres furent excavés. Il faut en effet rappeler que le mandat n’était pas d’exhumer les sépultures ni tous les ossements trouvés hors sépultures mais bien de vérifier s’il y avait encore des sépultures en place. Devant l’impossibilité de creuser sans tout enlever, seul un sondage d’un mètre carré fut pratiqué à l’intérieur de la structure dans le coin nord-est. Le sondage a par ailleurs permis de constater la présence d’un plancher de ciment dans le caveau, du moins une très mince couche de ciment se rencontre sur toute l’étendue du sondage à 42 cm sous la surface du mur. L’épaisseur de ce plancher varie entre 2 cm et 4 cm les endroits qui possèdent une plus grande épaisseur se trouvant le long des murs. Sous ce plancher, le sol fut creusé sur 30 cm de profondeur. À ce niveau le sol semble en place et il n’y a aucun indice de sépulture.

Dans la partie antérieure, la porte du caveau a été trouvée. C’est aussi à cet endroit que des fragments d’une plaque funéraire furent identifiés. À part ces éléments et les clous mentionnés plus haut, il y a très peu d'artefacts. Seulement trois poignées de cercueil ainsi que des fragments d’éléments décoratifs ont été mis au jour.

Le but de ce nettoyage était d’une part d’essayer de distinguer les éléments intrusifs à la structure et, d’autre part, de vérifier l’intégrité des sols plus en profondeur. À la lumière de l’excavation, il ne fait aucun doute que les sols supérieurs ont grandement été perturbés et que les sépultures ont été détruites au fil du temps. Par contre, devant l’état de conservation des murs et des ossements (aucun n’est écrasé ou présente d’indice de fracture post mortem), il ne fait aucun doute que tous ces éléments n’ont pas été écrasés par le bélier mécanique au cours des années 1950, ils avaient été perturbés bien avant cette date.

Ossements retrouvés dans le tombeau de la famille Johnson