Le 14 janvier 1999, Gérald Prince rédigeait son dernier texte et mettait ainsi fin à une longue et belle carrière journalistique qui s’est échelonnée sur 39 ans. La Tribune, le quotidien le plus important de l’Estrie, a profité de ses loyaux services pendant la trentaine d’années où il a couvert la région de Drummondville.

Journaliste et enseignant
Mario Goupil, un journaliste qui a débuté à ses côtés, disait de lui: « Gérald était un journaliste en devoir 24 heures par jour. Sept jours sur sept. Il n’a pas raté un incendie, un accident majeur, de jour comme de nuit, et encore moins une conférence de presse. Sans jamais oublier les élèves de sa classe d’histoire ou de géographie. » En effet, pendant 17 ans, de 1972 à 1989, Gérald occupait également un poste d’enseignant au collège St-Bernard. Il y dispensait des cours d’histoire générale à raison de 5 à 13 périodes par semaine selon les années. Il devait être un professeur très intéressant si j’en juge par une petite anecdote qu’il m’a racontée en toute simplicité... Un matin de tempête hivernale, professeurs et élèves devaient attendre en classe qu’une décision soit prise: maintenir ou annuler la journée d’activités carnavalesques prévue à l’horaire. Lorsque Gérald a demandé à ses élèves ce qu’ils voulaient faire pour passer le temps, ils ont tous répondu: « Donnez-nous votre cours, donnez-nous votre cours. » Je suis persuadée que tous les professeurs n’ont pas eu la même réponse...
Pourtant, Gérald Prince avoue avoir préféré le journalisme. Constamment à l’affût de la nouvelle, il traitait de tous les sujets, les petits comme les grands, avec respect et rigueur, cherchant toujours à bien renseigner ses lecteurs. Il considère avoir été un omnipraticien de l’information. Un titre qui représente bien le travail de généraliste qu’il accomplissait. En effet, il ne s’est jamais spécialisé dans un domaine particulier mais touchait à tous les aspects de la communauté drummondvilloise et même, il prenait ses propres photos! Il n’a jamais travaillé dans une salle de rédaction et voyait donc lui-même à constituer un système de classement, bâtissant ainsi ses propres archives avec ordre et méthode. Il se devait d’être très efficace. Il lui arrivait souvent d’assister à trois conférences de presse dans la même journée.
De 1972 à 1991, il était chef du bureau que La Tribune maintenait à Drummondville. Au début, ils étaient trois journalistes mais la baisse du tirage qui survient en 1980 entraîne l’élimination d’un des postes. Puis, en 1991, c’est la fermeture du bureau. Gérald Prince s’installe alors chez lui. Bien sûr il y voit des avantages, mais lorsque le fax le réveille la nuit, c’est plutôt désagréable. En effet, certains organismes envoyaient des textes de nuit de façon a réduire les coûts de téléphonie.

L’intervieweur interviewé
À son contact, on comprend vite qu’il a aimé ce métier et qu’il l’a accompli avec passion. À la façon dont s’est déroulée notre entrevue, j’imagine qu’il devait bien préparer les siennes.
Lorsque j’ai rencontré Gérald Prince, j’ai été accueillie avec chaleur par un homme qui non seulement avait accepté spontanément cette rencontre quand je la lui avait demandée une semaine plus tôt, mais qui avait également pris la peine de la préparer. Tout naturellement, il m’a donné certaines coupures de journaux, une précieuse documentation pour la rédaction de cet article. Et ce qui m’a le plus touchée, c’est qu’il avait pris le temps de feuilleter ses vieux albums de photos où il se rappelait d’un cliché qui réunissait ses pa-rents et les miens. Il voulait aussi m’en faire cadeau mais, ne me sentant pas le droit d’accepter, je l’ai plutôt emprunté pour illustrer ce texte avec promesse de le lui rendre ensuite.
On ne s’ennuie pas en compagnie de Gérald Prince. Il semble comprendre instinctivement ce que vous recherchez, ce qui vous intéresse. C’est ainsi qu’il m’a raconté comment mon père, Vincent Prince, et lui sont entrés en contact plusieurs années plus tôt. Leur première rencontre s’inscrit en 1962, lorsque Vincent voit le nom de Gérald dans le petit bottin d’adresses qui répertorie les anciens étudiants du Collège de Chambly. C’est le début d’une collaboration qui n’a rien à voir avec le métier de journaliste qu’ils pratiquent tous deux mais plutôt avec la recherche de renseignements généalogiques qui
constitue le principal loisir de Vincent. Avec l’aide de son grand-père qui vit encore à cette époque, Gérald est en mesure de fournir de nombreux renseignements sur sa famille. C’est ainsi qu’en 1966, mes parents se retrouvent au 30ème anniversaire de mariage des parents de Gérald, Marie-Rose Houle et Robert Prince. Marie-Rose et Robert, maintenant âgés de 87 et 90 ans, habitent toujours leur maison de St-Cyrille et tous deux se portent bien.
Depuis qu’il est à la retraite, un peu plus d’un an maintenant, Gérald Prince est un homme serein. Il se dit « mission accomplie » et relate les principales étapes de sa vie sans amertume...

Les grandes étapes
Il a grandi à St-Cyrille où son père, un habile bricoleur, était cultivateur. Il est l’aîné des six enfants de la famille. Il a fait de longues études au cours desquelles son talent de rédacteur est remarqué par ses professeurs. Il a donc souvent contribué au journal de son école et a même travaillé pour un hebdomadaire de Chambly. À 22 ans, alors qu’il est novice chez les Oblats de Marie-Immaculée, il assiste à une conférence qui lui fait réaliser qu’il n’a aucun goût pour l’aventure et renonce donc à la vocation de missionnaire que prône la congrégation. De retour à St-Cyrille, il travaille de nuit dans une imprimerie: il est linotypiste. En 1960, un nouvel hebdo gratuit fait son apparition: La Voix de Drummond. Il découvre qu’un de ses anciens compagnons d’études y travaille. Il le contacte et, dès la seconde parution, sa chronique, « Nouvelles de St-Cyrille » est publiée. Toutefois, il ne la signe pas. La Voix de Drummond est le compétiteur de l’imprimerie où il travaille toujours. Lorsque son copain quitte l’hebdomadaire l’année suivante, il le remplace. Son amie de coeur, Jacqueline Allard, une enseignante qu’il épousera en 1962, lui fait alors remarquer que le journalisme n’est pas un métier très sûr. Suivant ses conseils, Gérald retourne aux études. Travaillant les fins de semaine, en un an, il obtient son brevet A et peut ainsi aspirer à un poste d’enseignant. La faillite du journal, deux ans et demi après son ouverture, semble donner raison à Jacqueline...
En 1963, Gérald débute à La Tribune en y travaillant l’été. Il apprend les trucs du métier. Puis en 1964, c’est la naissance de Guylain et l’année suivante, celle de Geneviève. Guylain qui a trouvé sa vocation comme frère Franciscain alors que Geneviève et son conjoint Alain ont deux filles et un garçon: Audrey-Anne Couturier, née le 16 mai 1994 ainsi que Camille et William, des jumeaux nés le 23 mars 1998.
Les années filent vite jusqu’à ce que Jacqueline, atteinte d’un cancer du sein, prenne sa retraite après 35 années consacrées à l’enseignement. Suivent les traitements de chimiothérapie et un petit voyage en Italie avant que la maladie l’emporte. Après le décès de son épouse, survenu le 3 septembre 1997, la santé de Gérald se détériore. L’avènement d’une nouvelle technologie qui le rebute et des besoins financiers moins grands poussent alors Gérald à opter pour la retraite.

La retraite
Alors qu’il se rappelle n’avoir reçu que deux ou trois messages de félicitations pendant toutes ses années de travail à La Tribune, depuis qu’il a rangé plume et calepin, les hommages et les éloges ne tarissent plus. Tous, collègues, éditeur, hommes d’affaires, directeur du cegep, tiennent à souligner son professionnalisme, sa détermination, son sens du devoir et son dévouement. Lui qui produisait des textes en quantité et en qualité, offrant une couverture assidue et éclairée du territoire qu’il desservait, se voit maintenant qualifier d’ambassadeur infatigable ayant contribué au rayonnement de Drummondville. En tant que personnalité de la région, il a aussi été décoré du Mérite Estrien. Une de ses photos est même exposée au Musée de Québec. Pourtant Gérald semble plutôt attiré par une vie discrète auprès des siens.
Depuis un an, en plus d’assister à toutes ces soirées organisées en son honneur, ses principaux loisirs sont le jardinage, la philatélie, la lecture et la peinture. Plusieurs de ses toiles agrémentent les murs de sa grande maison, encadrées ou non, selon qu’il les considère terminées ou qu’il se réserve la possibilité de les retoucher. Gérald est aussi, depuis une vingtaine d’années, un fan du scrabble de compétition et suit assidûment les activités du club de scrabble Eureka de Drummondville. Il se classe d’ailleurs parmi les cent meilleurs scrabbleurs québécois. Et, comme il a conservé, dans de grands cahiers, tous les articles qu’il a rédigés pendant ses 39 années de carrière, il possède une source inépui-sable de souvenirs qu’il peut feuilleter à loisir si le coeur lui en dit.
Il y a poutant un autre projet auquel il ne s’est pas encore attaqué: l’écriture d’un roman à caractère historique ayant pour principal personnage Samuel de Champlain, le fondateur de la ville de Québec. Un projet ambitieux à la mesure de son talent et de ses compétences. Souhaitons lui longue vie pour qu’un jour nous ayons le plaisir de le lire à nouveau.