Cet été, lorsque je l’ai rencontré, Paul Prince (dict.no 1644) disait être « en panne d’inspiration ». Une expression qui rappelle son métier d’électricien, une situation qui ne l’effraie pas du tout. Après chacun de ses « arrêts », cet impressionniste figuratif a toujours constaté un progrès…

Du Manitoba au Québec
Paul Prince est né en 1941, à Sainte-Rose-du-Lac, une petite localité située au nord de Winnipeg, au Manitoba. Il est le cadet d’une famille qui compte deux autres garçons : Gilles et Marc. À cette époque, Paul Prince, le père, est l’ingénieur électricien qui fournit le courant à tout le village. La nationalisation du système de distribution d’électri-cité, qui surviendra quelques années plus tard, entraînera bien des changements et de nombreux déménagements pour la petite famille. Notons un travail dans le domaine du vinyle qui les conduit à Longueuil. Et la construction d’un canon électronique, pour l’armée américaine, qui les amène à Sorel dans les années 50. Notre Paul Prince, le fils, a huit ans lorsqu’il quitte le Manitoba. Il terminera son cours primaire à Longueuil. Pensionnaire, il fera une année d’études à Drummondville chez les Frères de la Charité. À Sorel, après lui avoir fait passer quelques tests d’aptitudes, on le classe en dixième année, affirmant qu’il a un grand talent pour les sciences et qu’il faut le pousser. Ça se passe assez bien jusqu’au moment où un apprentissage intensif d’algèbre est ajouté au programme, juste avant les examens de fin d’année. Paul déteste l’algèbre : il décroche.

Après l’école, le travail
En 1959, Paul est garçon d’épicerie : il gagne 20$ par semaine. Une fois ses frais de pension acquittés, il ne lui reste que 5$. Qu’à cela ne tienne, il cesse de fumer pour s’acheter plus rapidement la moto dont il a envie. Cette moto lui procure un sentiment de liberté qu’il ne voudra jamais mettre de côté si bien qu’encore maintenant, il en possède une et la chevauche avec plaisir durant la belle saison.
Plus tard, il ira tenter sa chance du côté de la construction. Ce n’est pas le travail du bois qui l’attire, c’est plutôt tout ce qui touche à l’électricité. Pour devenir électricien, une septième année et quatre ans de compagnonnage sont exigés. Paul travaille le jour et étudie le soir : en plus de ses cours en dessin industriel, à l’École des Arts et Métiers, il prépare les examens nécessaires à l’obtention du titre d’électricien. Il a 25 ans lorsqu’il y parvient. La même année, il épouse Denise Cimon, une jeune enseignante qui délaissera bientôt ses élèves au profit de ses trois enfants : Jean-Philippe,
Marie-Hélène et Paul-Frédéric. L’aîné, après des études poussées en histoire et
un an de droit, travaille à la Société des droits d’auteurs. Marie-Hélène, depuis la fin
de son cégep, travaille dans un Bed & Breakfast à Montréal. Le plus jeune, même si son diplôme d’inspecteur routier concerne plus particulièrement les véhicules lourds, s’occupe de mécanique d’usinage.

Paul Prince ne peut certainement pas renier son hérédité. Son domaine de travail reflète trop bien celui de son père et de son grand-père. Notez que ce grand-père a déjà fait l’objet d’un article dans ce journal. Il s’agit de Joseph-Napoléon Prince, cet inventeur et ingénieur autodidacte, originaire de Beauce, Québec, et installé à Saint-Boniface, Manitoba, où il a été à l’origine de l’aqueduc municipal. Pourtant, Paul ne semble pas avoir hérité du même goût de l’aventure que ses aïeuls. Rappelons que son arrière-grand-père, Pierre-Hubert Prince a vécu en pas moins de 10 endroits différents si on en croit notre dictionnaire de famille. Paul Prince, lui, a jeté l’ancre à Sorel depuis 1952 et entend bien y rester.
Après avoir travaillé pendant 17 ans dans deux fonderies des environs, il est maintenant à l’emploi de la commission scolaire Sorel-Tracy. Une occupation qui n’est pas de tout repos vu les récentes fusions qui entraînent de nombreux changements de vocation au niveau des bâtisses. Reloger des clientèles parti-culières, aménager des locaux adaptés aux nouveaux besoins tout en faisant l’objet d’inspections constantes, voilà les préoccupations qui l’accaparent grandement. Voilà aussi, à n’en pas douter, la cause de cette panne d’inspiration qui tient notre peintre éloigné de ses toiles. Pour vagabonder dans les couleurs, il faut avoir l’esprit libre…

La peinture
Lorsque Paul a peint sa première toile, il avait une motivation bien précise. Cela remonte à 1975. Déjà marié et père de deux enfants, il souhaite acquérir une vieille maison qu’il a aperçue alors qu’il se baladait à Baie-Saint-Paul. Rien à faire, on refuse de lui céder cette habitation de plus de 200 ans. Notre homme se dit : « Si je ne peux pas l’acheter, je vais tout de même en garder un souvenir ! » Armé de pinceaux et de plusieurs couleurs vives, il plante son chevalet à proximité. Et voilà ! Une belle maison rouge occupe bientôt le centre de son chef-d’œuvre. Il s’agit du premier pas qui marquera le début d’un loisir passionnant pour lui. C’est donc tout naturellement qu’il montre sa peinture à René Richard, l’oncle de sa femme, qui habite tout près et jouit d’une grande renommée en tant que peintre québécois. Bien que monsieur Richard ait mis fin à sa carrière deux ans plus tôt, il s’intéresse à ce que Paul lui présente et lui prodigue quelques conseils quant au mélange des couleurs, au jeu des lumières et à la disposition des éléments sur la toile.
Pendant les sept années qui suivront, Paul peindra et profitera des leçons de son oncle. C’est ainsi que les couleurs s’adouciront, que la technique évoluera et que la composition se raffinera. Un même croquis peut être remanié plusieurs fois. Il faut non seulement qu’une toile attire le regard, il faut qu’elle fasse voyager l’œil. Alors que René tourne ses toiles à l’envers pour s’assurer que les différents éléments sont bien disposés, Paul préfère les regarder dans un miroir. Même si René croquait ses sujets sur le vif, captant les principaux paramètres et les complétant par la suite, Paul peint souvent d’après photo. Il ne faut pas croire qu’il reproduit ce que la pellicule a saisi. Non. Le cliché sert plutôt à faire renaître l’image mentale qui a jailli à la vue d’un paysage, d’un coin de pays. Même si des scènes de Charlevoix ou du Bas-du-Fleuve inspirent plus particulièrement notre artiste, une toile reflète une pensée plus qu’une réalité. Le peintre jouit d’une grande liberté. Paul la compare parfois à celle du motard. Une route asphaltée redevient en terre battue sur la toile, une butte s’étire en montagne, des nuages envahissent un ciel tout bleu pendant que certains détails disparaissent pour mieux immortaliser et communiquer une vision qui autrement n’aurait été qu’un souvenir dans l’imaginaire d’un spectateur inspiré.

C’est une belle époque pour Paul. Il peint les fins de semaine et, pendant dix ans, chaque été, il expose trois de ses œuvres au centre d’art régional de Baie-Saint-Paul. En général, il en vend deux. En 1978, il ose même un autoportrait. Il baigne dans un milieu artistique stimulant. Notons son amitié avec le peintre sculpteur, Jean Constantineau qui influence sa technique.

« L’Arrivée »
On ne se rappelle plus qui a vendu la mèche et révélé le talent particulier de Paul… En 1995, lorsque Raymond Prince, notre grand rassembleur, l’aborde et lui demande de bien vouloir illustrer la page couverture de notre historique « Si les Prince m’étaient contés », Paul est très ouvert. Comme il est en panne d’inspiration depuis un an à cette époque, il propose que nous choisissions parmi trois toiles qu’il juge appropriées. Mais Raymond cherche quelque chose de bien précis : l’arrivée de Jacques Le Prince en terre d’Amérique, rien de moins. Paul accepte alors le contrat qui n’a pourtant rien de lucratif. Respectant sa maxime préférée,
« le temps méprise ce qui se fait sans lui », notre peintre commence par faire des recherches. Puisque les notes de Vincent précisent que Jacques Le Prince faisait partie du Régiment de Carignan arrivé à Québec sur le Saint-Sébastien le 12 septembre 1665, il fouille les bibliothèques pour se familiariser avec les différents éléments qui composeront sa toile.
« L’Arrivée », une huile sur toile, consti-tue aujourd’hui la page frontispice d’une publication que plusieurs Prince possèdent et chérissent. Si vous prenez le temps de l’observer, tête en bas, dans le miroir ou juste comme ça, vous comprendrez qu’une peinture représente une perception bien personnelle de l’auteur, une façon de voir une scène qu’il imagine et nous transmet par sa technique et son art. Paul Prince, bien qu’il n’ait pas commenté ce tableau, avoue être satisfait de l’imprimé : les couleurs sont bien ressorties et rendent justice à sa production. Quant à nous, on se laisse facilement pénétrer par l’image et on y perçoit le mouvement qu’elle exprime avec simplicité
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Et les projets
Dans sa maison où le bleu et le vert mettent en valeur les meubles anciens, les boiseries et les nombreuses toiles exposées aux regards, Paul avoue avoir de nombreux projets. La retraite, dans cinq ans, fait briller ses yeux. Lui qui entretient seul sa moto et bricole beaucoup ne sera jamais désœuvré. Les quelques éléments de chêne que j’ai aperçus, les armoires de cuisine, le plancher de salle de bain et les arches du rez-de-chaussée, sont déjà de sa fabrication. Que fera-t-il du tour à fer qu’il vient de se procurer ? On verra bien. Quand on est habile de ses mains et qu’on a une épouse bourrée de talents et aidante comme la sienne, on peut se lancer dans de nombreux projets de rénovation. Déjà les volets de cèdre enduits d’huile de lin, la petite terrasse entourée de fleurs et surmontée de son lampadaire complètent bien une maison où il fait bon vivre. À n’en pas douter, la peinture reprendra ses droits et l’envahira à nouveau. Sans compter les balades en moto si énergisantes. Dans quelques années, peut-être serons-nous invités à un vernissage pour une exposition solo d’un peintre sorellois en pleine maturité. Alors, nous y serons ! Et vous?