Histoire d'une famille de Prince

par Madeleine Boucher-Dupuis

Joseph Prince et Célina Paterson

Joseph Prince, marié à Célina Paterson, est décédé à Bécancour en 1895. Il laissait dans le deuil sa veuve et six enfants : Almaïde, Joseph, Antonio, Herminoda (Mary), Charles et Laurette.

En 1910, Madame Célina Paterson Prince immigre au Témiscamingue et s'installe sur une ferme à Latulipe avec son fils aîné Joseph, marié à Marie Arseneault, un autre fils, Antonio, ainsi que Charles et Laurette. Almaïde, sa fille aînée, mariée à Luc Dubois, s'installera à Laverlochère. Herminoda (Mary) mariée à Jos Tremblay, ne viendra pas au Témiscamingue.

Les Prince au Témiscamingue

Parlons d'abord de Célina Paterson Prince. Une femme très courageuse! Veuve à l'âge de 32 ans, enceinte de son dernier bébé au décès de son mari, elle perdra, par la suite, deux de ses fils et une bellefille en l'espace de huit mois. C'est le plus jeune des garçons qui continuera la lignée des Prince au Témiscamingue. En effet, Charles aura quatre garçons qui, à leur tour, auront des garçons.

L'aîné des fils de Célina, Joseph, décédera à Latulipe en 1917 des suites de la grippe espagnole. Sa femme, Marie Arseneault, donnera naissance à son quatrième enfant deux mois après le décès de son mari pour s'éteindre à son tour deux semaines plus tard. Puis, six mois après, c'est le deuxième fils de Célina, Antonio, qui décède, on ne sait trop de quelle maladie.
Joseph et Marie laissaient quatre orphelins: Hélène, Thérèse, Germaine et Paul. Ces deux derniers seront adoptés par un oncle, frère de leur mère, vivant aux ÉtatsUnis. Ayant été séparés très jeunes, ils perdront contact avec leurs soeurs aînées pendant plusieurs années.

Après tous ces décès, nous pouvons imaginer le désarroi de cette pauvre Célina! Mais nous croyons qu'elle est demeurée encore quelques années à Latulipe avant de vendre sa ferme et tout porte à croire qu'à ce momentlà, elle est allée demeurer chez sa fille, Almaïde, "Madame Luc Dubois", à Laverlochère.

Madame Célina Prince aura une trentaine de petitsenfants dont quelques uns sont décédés à la naissance ou très jeunes. Après le mariage de son fils Charles, elle ira demeurer chez lui et y finira ses jours.

Malgré un problème de cécité, elle secondera sa bellefille dans les travaux de la maison. Comme il arrivait un nouveau bébé presque à chaque année, même qu'une fois, il est arrivé des jumelles, notre grandmère avait beaucoup à faire et ses petitsenfants l'appréciaient beaucoup. On se souvient d'elle portant une longue robe foncée et un grand tablier blanc. Elle s'occupait aussi de traire la vache et de soigner les poules.

Les dernières années de sa vie, elle était presque aveugle. Elle s'est éteinte après quelques mois de maladie, à l'âge de 77 ans.

Almaïde Prince Dubois

Almaïde était l'aînée de la famille et elle avait onze ans au décès de son père. En 1905, à Bécancour, elle épousera Luc Dubois. Quelques années plus tard, ils immigrent à Laverlochère au Témiscarningue. Luc était forgeron de son métier et ses clients venaient de toutes les paroisses d'alentour. En effet, c'était un très bon maréchalferrant.

Ils ont eu 4 enfants: Yvonne, Paul, Jacqueline et Claire.

Luc est décédé subitement à l'âge de 53 ans. Sa fille aînée le suit un an plus tard, atteinte d'une maladie pulmonaire.

À 45 ans, Almaïde se retrouve veuve avec trois enfants et une nièce orpheline, Thérèse, qu'ils avaient adoptée. Elle vendra la boutique de forge et, comme elle a une grande maison, elle ouvrira une "chambre et pension". Tous les voyageurs de commerce et autres connaissaient la Pension Dubois. Elle avait aussi quelques pensionnaires réguliers. Sa nièce, Thérèse, la secondait dans cette tâche.

Almaïde réussira à faire instruire ses enfants. Thérèse étudiera chez les Soeurs de l'Assomption à StBruneau de Guigues; Paul, au collège de Rigaud, il sera commis comptable; Jacqueline et Claire à l'École Normale de VilleMarie. Après quelques années dans l'enseignement, Claire entre chez les Soeurs Grises de la Croix et deviendra professeure de piano.

Almaïde était une femme très habile, bonne couturière entre autres. Femme de caractère, elle était aussi très sensible et aimait beaucoup la musique. Ses deux filles étaient musiciennes et elle s'en réjouissait beaucoup.

Elle demeurera à Laverlochère la plus grande partie de sa vie. Après le mariage de sa fille Jacqueline, elle vendra sa grande maison et demeurera quelques années avec elle. Après le départ de Claire pour le couvent, elle ira vivre à VilleMarie pour quelques années. Puis, ayant une grave maladie de coeur, sa fille, Jacqueline, l'amènera demeurer chezelle en Ontario. Après une paralysie, elle décède en 1952, à l'âge de 68 ans.

Herminoda (Mary) Prince Tremblay

En 1909, à Bécancour, elle épouse Joseph Tremblay, machiniste. Son métier les amènera aux Etatsunis où ils passeront toute leur vie.

Ils ont eu deux enfants, Mabel et Jimmy. Le temps qu'elle élève ses enfants, elle viendra très rarement visiter sa famille au Témiscamingue. Mais plus tard, elle viendra régulièrement avec sa fille Mabel, son mari et leurs enfants.

Mary conservera sa langue maternelle mais ses enfants la perdront. Et, lors de leur visite au Témiscamingue, elle servira d'interprète. Personne, au début, ne maîtrisait la langue anglaise excepté Charles qui se débrouillait assez bien.

Plus tard, les neveux et nièces pourront faire la conversation.

Nous n'avons pas connu son fils Jimmy. Il est venu une seule fois à Fugèreville. Il devait avoir une vingtaine d'années. Il était venu de l'état de NewYork en motocyclette avec un copain. À ce tempslà, vers 1930, c'était tout un exploit.

Quelques uns des neveux et nièces ont gardé contact avec les petitsenfants de Mary, soit les filles de Mabel: Doroty, Mariane et Lauraine. Lors du rassemblement des Prince à Princeville en 1995, une d'elle était présente, soit Lauraine avec sa fille et sa petitefille. Elles représentaient les 9e, 10e et 11e générations.

Mary était très proche de sa fille Mabel et de son mari. Veuve depuis quelques années, elle ira finir ses jours chezelle. Mary est décédée en 1956, à l'âge de 66 ans.

Charles Prince marié à Rose Rivest

Des enfants de Joseph et Célina Paterson, Charles est le seul survivant mâle. C'est donc lui qui a continué cette lignée de Prince.

À leur arrivée au Témiscamingue, nous croyons que Charles n'est pas resté sur la ferme à Latulipe avec sa mère et ses frères. Il serait retourné à Montréal où il a travaillé sur la construction de charpentes d'acier. Un accident le rendra un peu handicapé. Il est tombé du cinquième étage d'une construction et s'est brisé une hanche. En ce tempslà, la médecine ne faisait pas les miracles qu'elle fait aujourd'hui! Avec les années, cette hanche le fera beaucoup souffrir.

Il reviendra au Témiscamingue et travaillera sur un bateau qui faisait la drave du bois sur le lac Témiscamingue. Il était timonier. Ce même bateau, Le Drapper, est conservé comme monument historique à Angliers.

Ensuite, Charles a appris le métier de beurrier et il a acheté la fromagerie de Fugèreville qu'il transforma en beurrerie. Il vendait son produit aux compagnies Burns et Canada Packers.

En 1923, il épouse Rose Rivest et la famille commence. Ils auront dix enfants dont quatre garçons. Sa mère viendra demeurer avec eux ainsi que sa nièce Hélène, orpheline, fille de son frère Joseph. Cette dernière deviendra institutrice et demeurera chez son oncle jusqu'à son mariage.

Les affaires vont bien et la famille grandit. Il sera parmi les premiers à posséder une automobile dans le village.

En 1939, les cultivateurs de Fugèreville décident de se former en coopérative et Charles leur vendra la beurrerie.

Il déménage sa famille à VilleMarie et achète une station d'essence qu'il vendra un an plus tard. Sa hanche le faisant de plus en plus souffrir, il décide de devenir camionneur pour la Voirie. Comme ça, il sera plus souvent assis que debout. Pendant ce temps, sa femme, Rose, ouvre un petit commerce de tissus dans leur maison à VilleMarie.
De cette façon, elle peut servir ses clients tout en s'occupant de la maisonnée.

Puis, quelques années plus tard, Charles est transféré à Rouyn. Ils achètent une maison à deux étages et Rose opère un restaurant au premier plancher avec l'aide de ses filles. Mais les enfants grandissent et quittent graduellement le nid familial. On vendra cette grande maison pour s'installer dans une plus petite. Malgré plusieurs grosses opérations, Charles travaillera presque jusqu'à la fin de sa vie. Il est décédé en 1963, à l'âge de 71 ans.

Il a continué cette lignée de Prince avec ses quatre garçons et on compte une dizaine de ses petitsenfants qui continuent le nom des Prince. La plupart se retrouvent à RouynNoranda.

Au moment d'écrire ces lignes, Rose Rivest Prince est toujours vivante, âgée de 93 ans.

Laurette Prince Boucher

La benjamine de la famille a vu le jour un mois après le décès de son père. Pauvre petite qui n'a pas connu son père! Il paraît que toute la famille s'est liguée pour compenser en lui accordant toute leur attention et lui comblant tous ses caprices dans la mesure du possible.

Elle a terminé ses études au couvent de VilleMarie car elle n'avait que 15 ans à leur arrivée au Témiscamingue.

Elle débuta sa carrière d'enseignante à Latulipe. Puis elle enseigna aussi au village de Fugèreville. Ensuite, elle enseigne à la campagne et sa mère l'accompagnait. Les fins de semaines, elles se retiraient toutes les deux chez Almaïde, Madame Dubois, à Laverlochère.

Laurette avait vingtcinq ans lorsqu'un veuf avec deux enfants fit sa conquête. Irénée Boucher, venu de GrandeMère s'installer à Fugèreville, après le décès de sa femme. Ses parents étaient arrivés quelques années auparavant. Irénée était ouvrier, menuisier et scieur de bois. Il avait acheté un moulin à scie en retrait du village et avait aussi construit une grande maison à deux étages avec lucarnes et une grande galerie. Une belle maison pour le temps.

Laurette quitta l'enseignement et devint maîtresse de maison en peu de temps, car Irénée engageait parfois jusqu'à dix hommes pour travailler au sciage du bois et notre jeune mariée devait leur servir le dîner. Pour elle qui avait plus souvent fait de la broderie et de la dentelle, c'était tout un défi.

Mais l'amour pour son Irénée aidant, elle s'est vite débrouillée. Puis sa famille commence. Elle avait déjà les deux enfants de son mari: Lucien qui avait 10 ans et Jeannette, cinq ans. Elle donna naissance à dix enfants dont trois sont décédés en bas âge.

La plupart du temps, les activités du moulin cessaient l'hiver. Alors, il arrivait qu'Irénée fasse chantier. On appelait ça "jobber". Il obtenait un permis de coupe et engageait des bûcherons. Ils bâtissaient des camps: un pour loger les hommes, un autre pour la cuisine et un autre pour la famille. Laurette a donc passé quelques hivers en forêt, même qu'une fois, le cuisinier ayant quitté son emploi avant la fin du contrat, c'est elle qui le remplaça.

Le dernier hiver qu'elle a accompagné son mari, elle avait trois enfants et l'aînée était d'âge d'aller à l'école. Alors, Laurette lui a enseigné tout l'hiver pour que la petite puisse entrer à l'école au printemps et rattraper les autres élèves. Pendant ce temps, Lucien et Jeannette restaient chez les grandsparents Boucher pour fréquenter l'école.

En 1927, le moulin à scie passe au feu! Irénée retrousse ses manches et, l'année suivante, il construit un autre moulin mais cette fois, près d'un cours d'eau (rapide) qui pourrait fournir la force motrice pour faire fonctionner toutes ses machines. Laurette se retrouve donc avec sa famille, en plein bois, à un demimille du grand chemin et à deux milles du village. Et, comme de raison, les hommes qui travaillaient au moulin pensionnaient à la maison et quelquesuns couchaient là aussi et retournaient chezeux la fin de semaine. C'était beaucoup de travail et les enfants continuaient d'arriver.

Par chance, Laurette avait une bonne santé. Mais son mari, à force de travail et d'épreuves, succomba à la maladie. Il décéda en 1937, à l'âge de quarantesix ans. Laurette se retrouve veuve à quarantedeux ans avec un bébé de trois jours.

Les épreuves ne manquent pas. Mais, avec son courage et son amour de la vie, elle passera à travers. Elle réussira à faire instruire la plupart de ses enfants qui sont tous très débrouillards. Ils ont tous élevé une petite famille et sont maintenant à la retraite.

La famille de Laurette Prince Boucher était une famille très gaie où on faisait beaucoup de musique. Laurette était ellemême musicienne et elle avait inculqué ce goût à ses enfants en leur donnant les premiers cours de piano. C'est probablement ce qui les a aidés à voir le bon côté de la vie. Laurette est décédé à l'âge de 72 ans.

Ceci termine l'histoire de la 8e génération des Prince au Témiscamingue. Comme bien d'autres d'ailleurs, ils n'ont pas accompli d'exploits spectaculaires, mais ce sont des familles respectables qui, comme l'a écrit Vincent Prince dans son historique, ont contribué, à leur façon, au développement d'une grande et belle région.

L'été dernier, les cousins et cousines, descendants de Charles et Laurette Prince, se sont rencontrés à Rouyn-Noranda pour un pique-nique familial.