’histoire
d’André Auclair est indissociable de celle de son frère Pierre.
Ensemble ils ont traversé l’Atlantique lorsqu’ils étaient
enfants, ensemble ils ont vécu le remariage de leur mère
avec un homme qui n’a pas eu les moyens de les faire instruire et qui n’a
pas su se faire aimer d’eux. Le moment venu de s’émanciper, plutôt
que de s’établir près de leur mère, ils choisissent
de le faire à Charlesbourg.
Pierre
s’y étant fixé dans le rang Saint-Bernard en 1678, André
y achète une terre l’année suivante. Cet achat fait de lui
le quatrième voisin de son frère. Âgé de 17
ans, il se dit résidant à Québec. On ignore s’il se
rend immédiatement sur sa terre pour en faire le défrichement.
Ce que l’on sait, c’est que vingt mois plus tard, il épouse une
jeune veuve, Marie Bédard, qui demeure à la Petite-Auvergne,
au sud de Charlesbourg.
Marie Bédard
est la fille d’Isaac Bédard et de Marie Girard, des calvinistes
de La Rochelle qui ont abjuré avant de s’embarquer pour le Canada
avec leurs deux garçons : Jacques et Louis. Marie est née
à Québec. À 16 ans, elle épouse Nicolas Huppé
et emménage avec lui à la Petite-Auvergne. Le 2 février
1681, elle fait baptiser un garçon qu’elle prénomme Charles.
Sans que l’extrait de baptême le mentionne, le père de l’enfant
est décédé depuis cinq mois et demi.
Deux semaines
après avoir accouché, la jeune veuve signe un contrat de
mariage avec André Auclair. Ce dernier n’a que 19 ans. Cela est
exceptionnel, car normalement le colon doit s’établir avant de prendre
femme. Ce qui lui permet de déroger à la coutume, c’est qu’il
épouse une veuve déjà établie. La terre que
laisse Nicolas Huppé a déjà trois arpents de défrichés.
Le contrat
de mariage est signé au moulin de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges.
Il ne s’agit pas de l’actuel Moulin des jésuites au Trait-Carré
de Charlesbourg, qui sera construit une quarantaine d’années plus
tard. Il s’agirait plutôt d’un moulin à vent sur la rive sud
de la rivière Saint-Charles. Le contrat prévoit que Charles
Huppé, âgé de 15 jours, sera pris en charge par le
nouveau ménage.
Le mariage
a lieu le lendemain, le lundi 17 février 1681, à Québec
plutôt qu’à Charlesbourg. Il est probable que comme la veille,
ce sont les jésuites, plutôt que la famille de l’épouse,
qui sont les hôtes de la noce.
Une fois
marié, André Auclair prend en main les affaires de son épouse.
Il y trouve peu de biens et beaucoup de dettes. Une facture au montant
de 19 livres à payer à l’Hôtel-Dieu laisse croire que
Nicolas Huppé a passé par l’hôpital avant de mourir.
D’autre part, Michel Huppé, le beau-père, doit 153 livres
à Marie Bédard, comme reste d’un montant de 300 livres qu’il
s’est engagé à donner lors du mariage. Comme le beau-père
tente de se soustraire à ses obligations, André Auclair le
force, par une sentence arbitrale, à s’exécuter.
André
Auclair est un paroissien de Charlesbourg. Dans la chapelle en bois couverte
de chaume, il occupe le septième banc du côté de l’épître,
c’est-à-dire du côté droit. Précisons qu’il
n’y a que neuf bancs de ce côté. Au baptême de ses deux
premiers enfants, il se déclare habitant de Saint-Bernard, mais
au baptême du troisième, il se déclare habitant de
la Petite-Auvergne. On peut croire qu’il a hésité sur le
lieu de son établissement.
En janvier
1689, son beau-père Isaac Bédard décède et
laisse en France des biens que ses enfants doivent aller récupérer.
Plutôt que ses fils Jacques et Louis, c’est son gendre André
Auclair qui y va. Ne pouvant laisser sa femme seule avec cinq enfants,
il demande à Louis Bédard de demeurer avec elle. Ce dernier
le remplacera comme passeur de la rivière Saint-Charles.
Il faut
savoir qu’à tout le moins de 1689 à 1692, André Auclair
n’habite pas sa terre de la Petite-Auvergne, mais la « terre du passage
», située au bout du chemin qui conduit de Charlesbourg à
Québec. Cette terre appartient aux jésuites, qui y exploitent
un service de traverse. Ils louent à un fermier le service de la
traverse, la terre et la maison. Le fermier fournit les canots, les câbles,
les avirons, et se paie avec les droits de passage. Pendant l’absence d’André
Auclair, ce sera Louis Bédard qui fera la besogne. Les jours où
il sera occupé par d’autres travaux, c’est Marie qui le remplacera.
Tout cela est spécifié dans un contrat.
Le voyage
en France se fait rapidement. Parti au printemps 1690, André Auclair
est de retour au mois d’août. Deux mois plus tard, le 16 octobre,
au lever du jour, paraît une flotte anglo-américaine de trente-quatre
navires, sous les ordres de l’amiral Phips. Les quatre plus gros navires
jettent l’ancre devant Québec, les autres, qui portent les troupes,
se rangent près de Beauport. Le plan des assaillants est de débarquer
à la Canardière et de gagner la ville en traversant la rivière
Saint-Charles. Cette traversée ne peut se faire qu’à gué,
car l’armée est trop nombreuse pour utiliser des canots.
À
trois reprises, les 18, 20 et 21 octobre, l’après-midi, les Anglais
débarquent à la Canardière. Chaque fois, un groupe
de 200 miliciens, de coureurs de bois et d’Amérindiens leur coupent
le passage. Les assaillants ne peuvent remonter plus haut que le troisième
voisin d’André Auclair. Finalement, le 23 octobre, le froid étant
devenu menaçant, la flotte se retire. Les Québécois
en auront été quittes pour la peur.
En août
1695, Marie Bédard donne naissance à un septième garçon,
en plus de deux filles. En prévision de leur établissement,
André Auclair agrandit son domaine. Dans le rang Saint-Bernard,
il acquiert une nouvelle terre, voisine des deux qu’il possède déjà.
En 1698, il est marguillier en charge de sa paroisse. Subitement, l’année
suivante, la mort vient mettre un terme à ses projets.
Le jeudi
14 mai 1699, dans le cimetière de Charlesbourg, est inhumé
André Auclair, décédé à l’âge
de 37 ans. Quatre ans plus tard, en 1703, Marie Bédard le suit dans
la tombe, à l’âge de 38 ans. Son décès se produit
lors de l’épidémie de petite vérole qui fait à
Charlesbourg quatre-vingt-cinq victimes.
La mort
de la veuve laisse orphelins neuf enfants âgés de moins de
22 ans. Ce sont, du premier lit : Charles Huppé. Du deuxième
lit : Étienne, Paul, André, François, Marie, Pierre,
Louis, Marie-Catherine. Une assemblée de famille leur désigne
des tuteurs. Pour Charles Huppé, ce sera Jacques Huppé, son
oncle paternel. Pour les enfants Auclair, ce sera Pierre Auclair, leur
oncle paternel.
À
la Petite-Auvergne, l’inventaire après décès décrit
une maison de 32 pieds de large et de long. Les murs sont en bois équarri,
dont une partie menace ruine. Le toit est couvert de paille et menace ruine.
Pour les terres du rang Saint-Bernard, l’inventaire ne mentionne pas de
maison, mais seulement un hangar. L’inventaire révèle une
entreprise agricole d’une assez grande envergure, mais les bâtisses
sont loin de refléter l’aisance. De fait, la situation financière
est déplorable. En mourant, le veuve laisse dix-sept comptes en
souffrance, totalisant 225 livres, soit la valeur d’une terre.
Nous ignorons
comment s’est fait le partage des biens entre les enfants, à mesure
qu’ils ont atteint leur majorité. Finalement, le terre de la Petite-Auvergne
sera occupée par Charles Huppé. Cette terre se trouve aujourd’hui
près du monument des Bédard, à l’angle de l’avenue
Isaac-Bédard et de la 1ère Avenue, à Charlesbourg.
Les trois terres du rang Saint-Bernard seront occupées par les trois
garçons Auclair qui se marient, soit François, Pierre et
Louis. Ces terres se trouvent aujourd’hui au coeur de la paroisse Saint-André
de Neufchâtel, près du village des Hurons.
Seulement
deux des garçons mariés ont des enfants. Leur descendance
n’est pas nombreuse. Si bien qu’aujourd’hui, seulement 20% des Auclair
d’Amérique descendent d’André Auclair, tandis que 80% descendent
de son frère Pierre.
© Association des Auclair d'Amérique |